samedi 17 avril 2010

Would You Sign?


Vous en avez peut-être déjà entendu parler, c’est très à la mode en ce moment, et comme toujours HBS est à la pointe du mouvement: le ‘MBA oath’ nouvelle génération est arrivé… Je m’explique : un groupe d’étudiants de HBS a récemment lancé l’idée de faire signer un serment aux diplômés du MBA, sur la base du volontariat, les engageant en très gros à « se comporter correctement ». Ci-dessous quelques extraits du serment proposé:

THE MBA OATH
As a business leader I recognize my role in society.
My purpose is to lead people and manage resources to create value that no single individual can create alone.
My decisions affect the well-being of individuals inside and outside my enterprise, today and tomorrow. 
Therefore, I promise that:
I will manage my enterprise with loyalty and care, and will not advance my personal interests at the expense of my enterprise or society. (…)
I will report the performance and risks of my enterprise accurately and honestly. (…)
I recognize that my behavior must set an example of integrity, eliciting trust and esteem from those I serve.
(…) This oath I make freely, and upon my honor. 
En gros, on s’engage  à respecter la loi, faire le bien autour de nous sans tricher, et à ne pas trop polluer la planète… Rien d’extraordinaire en soit et pourtant, ça chauffe !

Les défenseurs de ce serment veulent faire du management une profession : les docteurs, les avocats ont leur serment, pourquoi pas les managers ? Le MBA Oath s’inscrit aussi dans une dynamique anti-capitalisme-ultra-libéral, système où comme nous le savons bien, la maximisation du profit justifie tous les comportements. Nous suivons désormais un cours d’éthique du business en première année à HBS, où l’on analyse notamment deux perceptions antagonistes de l’entreprise : une version où l’actionnaire est roi (historiquement Anglo-saxonne), opposée à une définition (plus Germanique) ou les stakeholders dans leur ensemble, c'est-à-dire toutes les parties prenantes de l’entreprises (les employées, les fournisseurs etc..) doivent être pris en compte dans les décisions des managers. Ce cours a été lancé en réaction à l’affaire Enron (Skilling, ancien partner de McKinsey et responsable principal des errements d’Enron, est diplômé d’HBS). Si le contenu du cours est encore un peu léger (par exemple, pas de cas sur les salaires extravagant de certains patrons), cette initiative  à mon avis va dans le bon sens.

Ce n’est pas ce que pense Theo Vermaelen, prof à l’INSEAD (voir son article), qui contre toutes (mes) attentes a écrit un article très critique sur ce fameux MBA Oath. Notons que l’INSEAD a sélectionné ce papier comme un des un des 10 meilleurs de l’année… Son premier argument défend une vison de l’entreprise où seul l’actionnaire compte. Ainsi, en signant le serment, le manager tromperait son monde : « The oath invites violation of fiduciary duties and ethical standards. In many countries, board members and, as a consequence, managers have a fiduciary duty to maximise the wealth of shareholders.”

Je suis profondément opposé à cet argument, fallacieux et illégitime. Je suis aussi indifférent aux deux suivants, suivant lesquels le MBA Oath n’est une réponse maladroite à la crise financière, dont les diplômés de MBAs ne seraient de toutes façons aucunement responsables à ses yeux. Enfin, pour lui, signer ce serment n’engage à rien, puisque seuls les ’incentives’ ont de l’impact : c’est la carotte qui fait avancer l’âne, pas serment contracté par mégarde dans sa jeunesse …

Le problème pour moi, c’est que si les contre-arguments ne me convainquent pas, les arguments en faveur du projet ne m’enthousiasment pas non plus. Je vois dans l’initiative un besoin de reconnaissance, un appel à l’amour du public « non, nous ne sommes finalement pas si mauvais, tout financiers que nous sommes ! ». Quand on nous parle du management comme profession on entend souvent la complainte suivante : « le but des docteurs ? Sauver des vies. Celui des avocats ? Protéger la veuve. Et aussi l’orphelin. Celui du manager ? Faire du pognon… ». C’est certain qu’avec ces maximes en tête, il est délicat de trouver un «sens à son action ». Mais pour ma part, après deux ans aux Etats-Unis et quelque sinteractions intéressantes avec des médecins et avocats, je dirais qu’un certain  nombre d’entre eux –au même titre que les Managers- ont un objectf commun : faire du pognon, eux aussi. Ce sont essentiellement les moyens qui diffèrent. Notons d’ailleurs qu’aux Etats-Unis, s’enrichir est culturellement bien plus acceptable qu’en France, et un Américain me trouvera moins cynique qu’un Français sur ce point.
Autre limite du Oath à mes yeux : comment appliquer une sanction pour les tricheurs, ceux qui ne respectent pas leur serment ? La réponse des médecins, c’est de radier leurs membres. HBS envisage d’interdire les tricheurs à se présenter aux réunions de promotion quinquennales,  d’utiliser le réseau des anciens, et peut être même… annuler leur diplôme. En conséquence, on se trouverait dans une situation bizarre : un tricheur sera « radié » non pas parque qu’il a triché, mais parce qu’il a dit qu’il ne tricherait pas. Le tricheur qui n’a pas signé le serment garde son diplôme. Et c’est donc le fait de signer un document, pas l’acte de tricher, qui créé la discrimination. Un monde à l’envers ?

Bref, une fois de plus je suis sceptique. J’aime la dynamique associé au MBA Oath, et me réjouis de la réflexion qu’elle engendre. Et pour une fois que nous réfléchissons à améliorer le système, en s’orientant dans une direction plus « altruiste » -disons moins individualiste- j’applaudis. Mais je ne peux m’empêcher de voir un trait culturel très Américain dans la volonté de formaliser ce qui pour moi, est une évidence. Mais comme disais un des mes prof de classe prépa, « ce qui va de soit… va encore mieux en le disant ! ».

Alors, je le signe ce papier ? Je vous laisse remplir le sondage en haut à gauche de l’écran.