jeudi 10 décembre 2009

Peut-on /Faut-il gérer sa vie comme une entreprise ?

Ça fait déjà un petit moment que j’ai ce post en tête, mais je ne trouvais pas trop l’envie d’écrire ses derniers temps… L’envie revenue (ça tombe bien, j’ai 5 fois 4 heures d’écriture devant moi qui se profilent avec les charmants exams qui nous attendent), je vous propose mes réflexions sur ce sujet original.

J’ai suivi ce trimestre un cours intéressant nommé « Managing Human capital » qui, comme son nom l’entend, se rapproche d’un cours de ressources humaines classique, avec en sus une partie sur le thème « Managing Your Own Human Capital », c'est-à-dire comment gérer sa carrière, et pourquoi pas de manière plus générale, sa vie. La thèse de notre professeur, c’est que nous devrions passer plus de temps à nous gérer nous même (nos opportunités, notre parcours) que ce que nous faisons actuellement (c’est assez vrai – je mets bien plus d’énergie par exemple dans mes modèles financiers quand c’est pour McKinsey que lorsque je gère mes finances personnelles…). L’autre nouveauté, c’est qu’à ses yeux, nous devrions gérer notre vie au moins professionnelle, et pourquoi pas personnelle…. comme une entreprise ! En fait, cette idée fait froid dans le dos aux premiers abords, mais comme vous allez le voir, ça (peut) finit(r) par faire sens –ou pas.

Nous avons en guise d’exemple le cas de Tim Keller, jeune HBS devenu rapidement consultant dans une petite boîte du Texas, se demandant comment prioriser et organiser sa vie. Notre protagoniste, lui aussi fan de spreasheets et autres outils analytiques, a donc crée un feuillet Excel pour « organiser sa vie ». Ainsi, il a déterminé les 5-6 axes généraux sur lesquels il veut passer du temps («fonder ma famille»; «continuer d’apprendre »; «créer des points de connections sociaux» etc..) et les a décliné en une trentaine d’actions concrètes («jouer de la guitare chaque semaine », «aller sur my space », «trouver un mentor » etc…) – le tout pondéré de coefficients adéquats. Chaque mois, il vérifie donc où il en est sur chaque « tâche », et colore les cases en vert, orange ou rouge suivant le niveau de réalisation qu’il estime avoir atteint. Ces éléments sont en fait la déclinaison de sa stratégie globale consistant à « Etre marié, organiser et motiver des groupes et contribuer à ma communauté dans les 5 prochaines années ». Cela ressemble ni plus ni moins à une stratégie avec un plan d’exécution détaillé comportant des milestones et des deliverables, sauf qu’il ne s’agit pas d’une entreprise mais… bien de la vie du mec en question.

Pause. Je vous conseille d’éclater de rire, vous rouler par terre ou aller sur un autre site internet plus fun, ça m’a fait ça la première fois. Je vois déjà la tête de Margot pliée de rire chez Pyramide « ils sont vraiment fous ces Américains »-ma chère sœur, si tu as lu jusque là, c’est déjà un exploit en soi.

C’est reparti, puisque vous être toujours là… Evidemment, lors de discussion en classe à laquelle le fameux Tim Keller lui-même assistait, les Américains ont trouvé ça génial de manière assez générale: «Even if the Excel tree of life is a bit overkill (sic), the process of thinking about it this way is great» a dit mon ami Kevin ou «I am not sure the weighting of each criteria is totally rigourous, but the analytical description is super exciting» – je vous passe les autres commentaires débiles, y compris le mien, toujours très positif comme à mon habitude au grand damn de notre professeur - «this is ridiculous (…), boring and useless… do you actually live to check boxes ? Is this the way you’re happy ?».

J’étais donc sceptique sur le moment, et j’admets que je le suis encore. Le format surtout me fait hurler de rire – mais dans le fond, je dois admettre qu’il y a un peu de vrai (mon nouveau côté Américain j’imagine– j’arrive désormais à trouver du bon dans tout… comme quoi, on peut changer avec le temps !) et que la démarche en soi peut faire du sens pour certains. Ainsi, on nous apprend à HBS qu’il n’y a pas de stratégie sans exécution. Par exemple, la façon dont on alloue les ressources dans une entreprise est essentielle et déterminante, bien plus que la « stratégie» qui, en soit, n’est rien. Le parallèle peut en fait être pertinent: et si la façon dont on utilise son temps par exemple, n’était qu’une autre forme d’allocation de ressources ? Est-ce que passer 3 heures devant la télé tous les jours correspond à ce que je veux faire de ma vie, ma « stratégie » ? Dois -je réallouer mon temps différemment, en fonction de mes priorités ? Certes, d’ici à faire un tableau Excel en couleur, il y a un fossé, mais la convergence entre les deux monde, la vie personnelle et l’entreprise, peut peut-être alors faire du sens.

En revanche, pousser trop loin ce raisonnement me choque, et l’extrême rationalisation du process d’analyse de la vie me laisse sceptique… car comme je le disais en classe, il me semble que nous vivons pour autre choses que tiquer des cases, réaliser un plan prévu longtemps à l’avance. Ce qui m’existe, et je suis certain que c’est assez universel, c’est de ne pas savoir ce qui va m’arriver, de faire des plans puis de les défaire, envisager l’avenir et le voir se réaliser d’une façon différente. Ma vie sur Excel, c’est proche pour moi de la notion de destin, à laquelle je suis passionnément opposé: car dans ce cas, à quoi bon se lever le matin, si l’histoire est déjà écrite…

Allez, je file sur Excel, j’ai de la finance (d’entreprise) à finir !